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Le "Radar"

Au beau milieu des champs, à la limite de Lens et de Montignies, le promeneur découvre une zone hérissée de hauts piquets reliés par des fils, le tout entouré d'une clôture protectrice qui donne à l'ensemble des allures de base secrète. A quoi cela peut-il bien servir ? Si vous interrogez les habitants du lieu, ils vous diront que c'est "le radar" mais la plupart ignorent généralement quelle en est - ou plutôt qu'elle en était - l'utilité.

Aujourd'hui pratiquement abandonné, ce complexe dépendait autrefois de deux institutions différentes : la Régie des Télégraphes et Téléphones (R.T.T.) d'une part et l' Union Européenne de Radiodiffusion (UER) d'autre part.

1. L'Union Européenne de Radiodiffusion

Au début du XXème siècle, l'augmentation du nombre d'émissions radiodiffusées, a très vite exigé que l'on répartisse les longueurs d'ondes entre les différents émetteurs. Une réglementation a été établie et, pour qu'elle soit respectée, il fallait en surveiller la bonne observance, vérifier la stabilité des émetteurs et réduire les troubles graves.

C'est dans cet esprit que l'Union Internationale de Radiophonie (U.I.R.) a été fondée le 3 avril 1925 dans les bureaux de la Société des Nations à Genève et c'est à Bruxelles qu'a été établi le premier Plan des fréquences. Malheureusement, celui-ci était loin d'être respecté et un nouveau plan a dû être élaboré en 1929, mais cette fois, à Prague. Ce nouveau plan, se basant sur celui de Bruxelles, tenait également compte de la Conférence de Washington qui s'était tenue en 1927. Le Plan de Prague, par son succès, affaiblit considérablement la position de l'U.I.R. dont le rôle se résumera désormais à celui de conseiller technique pour l'élaboration des futurs plans de fréquences. Tout en conservant le même sigle, l'U.I.R. change toutefois d'appellation et devient l'Union Internationale de Radiodiffusion.

Pour exercer l'indispensable surveillance dont nous parlions plus haut, l'U.I.R. avait créé en 1927, à Bruxelles, un Centre de contrôle assurant l'écoute journalière de centaines de stations : le Centre d'écoute et de Mesures (CEM). En 1938, ce Centre s'installa dans des salles blindées de nouveaux bâtiments situés à l'Avenue Lancaster à Bruxelles.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le Centre de Contrôle passa évidemment sous administration allemande, ce qui ne sera pas sans conséquence pour son avenir. En 1945, l'U.I.R. connaît une crise qui peut à la fois s'expliquer par sa compromission avec les Allemands pendant l'Occupation et les débuts de la Guerre Froide :  sous l'influence soviétique les pays de l'Est créent en juin 1946 l'Organisation Internationale de Radiodiffusion (O.I.R.) qui s'installe à Prague tandis qu'à l'Ouest, l'U.I.R. laisse la place, en février 1950, à L'Union Européenne de Radiodiffusion (qui deviendra plus tard l'Union Européenne de Radio-Télévision) : l'UER installe son siège administratif à Genève, tandis que Bruxelles héberge principalement le centre technique.

Mais revenons à notre Centre de Contrôle de l'Avenue Lancaster...

Après douze années passées à l'avenue Lancaster à Uccle, le CEM se trouve bien à l'étroit dans ses anciens locaux et, en outre, son travail est de plus en plus perturbé par les brouillages électromagnétiques provenant de la capitale. Il faut donc lui trouver un endroit "moins pollué" : le choix se porte sur un terrain déjà occupé par la Régie des Télégraphes et Téléphones (R.T.T.) situé sur le plateau de Jurbise, avec lequel elle partagera les antennes. Le CEM y construit un bâtiment d'environ 300 m2 et un petit pavillon en briques blanches où l'on procède aux mesures du champ électro-magnétique, à côté du bâtiment en briques rouges de la RTT.

Les activités du centre à l'époque sont principalement l'écoute des bandes de fréquences attribuées à la radiodiffusion dans la zone européenne. Il assure un contrôle à la demande de certains diffuseurs internationaux qui ne disposent pas des moyens de contrôles en Europe. Il participe activement aux travaux de l'U.E.R. dans l'élaboration de normes, etc. Le centre échange ses résultats avec les autres centre d'écoute et de mesures comme Limours ORTF/TDF en France, Monza RAI en Itaiue, la BBC en Grande-Bretagne et la Société Radio Canada à Montréal.

On trouvera sur le site de l'UER plus d'informations sur l'état de cette institution aujourd'hui (voir la webographie en fin d'article).

2. La R.T.T.

Le 19 juillet 1930 naissait la Régie des Télégraphes et Téléphones (R.T.T.). Si la grande majorité des communications se faisait à l'époque par "fils", il n'en était pas de même pour les communications à longue distance et, en ce temps-là,  la Belgique avait de nombreux échanges avec le Congo. Pour ce faire, la Direction des Radiocommunications de la R.T.T. utilisait les ondes courtes et les antennes devaient être installées à un endroit exempt de perturbations ; le choix s'était porté sur les champs proches de Jurbise, et ce fut là que ON4TT vit le jour : un pavillon entouré de mâts en bois et d'un mât en béton de 24 m de haut, muni d'un moteur. Le plus haut des pylones s'élevait à 50 m et était destiné à la réception des télégrammes venant de pays lointains. Une vingtaine de mâts en bois avec haubans portaient des antennes omnidirectionnelles ou à effets directifs. Lorsque l'on téléphonait (ou télégraphiait) vers les pays lointains, Jurbise captait la conversation de l'abonné étranger émis par la station (Léopoldville - aujourd'hui Kinshasa -  pour le Congo) et la transmettait à l'abonné belge tandis que la conversation de l'abonné belge vers l'étranger était émise par les émetteurs de Ruysslede  ("la station d'émission se trouvait à Ruiselede, plus exactement sur le territoire de Wingene sur les terrain du château Carpentier, Liedekerke était comme Jurbise une station de réception" - précision communiquée par monsieur Paul CARTIER).

Dans les années 1960, le centre radio de Jurbise joua un rôle essentiel en assurant les contacts entre les expatriés et leurs familles lors des émeutes qui accompagnèrent la lutte pour l'indépendance du Congo. Cette liaison était assurée avec l'aide de radio-amateurs quand ON4TT était à saturation. En voici quelques témoignages :

 

Notre premier souci était de contacter la Belgique et, en particulier, un éventuel réseau d'urgence en rapport avec les évènements du Congo ; nous étions rapidement rassurés et rapidement pris en charge par des stations ON4 et en particulier ON4TT, qui était la station officielle de la RTT, installée à JURBISE. Comme ils étaient sans nouvelles de notre région, unsked journalier à 20 h fut pris et ce fut le début d'une période émotionnelle qui dura à peu près 2 mois c-à-d., à 20 h, l'opérateur de la station ON4TT, qui était en réalité ON5DG, je ne me souviens plus de son nom, (entre-temps j'ai retrouvé sa carte QSL, il s'agissait de Gaston REMSON). Il nous communiqua les demandes familiales sur des personnes restées dans notre région, le lendemain Paul et moi contactions ces personnes et les invitions à nous rejoindre à 20 h à la station et ainsi communiquer avec leurs proches en Belgique, évidemment toutes ces soirées se terminaient par une petite fête, que de souvenirs, il n'a pas fallu longtemps pour que d'autres stations belges se joignent à notre QSO...

sources :  www.keldenich.org/pages/gdv_press_2008_1.pdf

 

N'oublions surtout pas l'équipe de la RTT, qui depuis son centre de transmission de Jurbise, mais dont les émetteurs étaient situés à Liedekerke à 20 Km à l'Ouest de BXL ; achemina la 1è:re vague de messages de détresse, qui devinrent si nombreux qu'une aide s'avéra nécessaire. [...] Début juillet, "Stan'' étant coupé du monde, les OM s'organisèrent et notre ami retira le dernier kit en stock et monta un TX en 2 jours. Les 2 x 6146 et l'antenne long fil entrèrent en action, mais pas sous le call d'Albert pour éviter la localisation de l'émetteur. Le trafic radio sur 21 MHz entre ‘'Stan'' et ON4TT, la station de Jurbise en Belgique et les ON4 du réseau provoquant de nombreux déplacements de familles ; venues aux infos ; autour des bureaux de la MBLE, le TX fut placé, pour diminuer les risques lors de fouilles, dans la vitrine de l'établissement aux yeux de tous au milieu des appareils professionnels. Le micro, raccordé bien sûr étant placé dans les bureaux . . . et le trafic continua prudemment avec la Belgique. [...] J'ai trafiqué jour et nuit, avec la maison mère, et avec Jurbise (RTT), pendant tout le temps de l'indépendance du Katanga, jusqu'à l'arrivée de l'O.N.U, et des troupes d'occupation du Bas Congo. [...] Les QSO avec Jurbise-radio en Belgique se pratiquaient en CW et en AM pour les communications téléphoniques. La base était équipée d'un transmetteur de morse automatique par bande perforée, et des essais en RTTY se faisaient aussi régulièrement avec le système Coquelet du nom d'un ingénieur des ACEC. Ce système était utilisé à l'armée et sur lignes, donc pas en HF. D'ailleurs les résultats n'étaient pas très bons à cause des distorsions dans la transmission.

Source :  http://www.kolwezi1977.be/ON4OQ5.html
(Extrait de ON5UB news)

Pour le Katanga, c'est à Lubumbashi que se trouvaient les installations radio permettant de continuer la liaison vers le centre de transmission de la RTT (Régie des Télégraphes et des Téléphones maintenant Belgacom) situé à Jurbise, les émetteurs se trouvant à Liedekerke à 20 km à l'Ouest de Bruxelles.

 Source :  http://www.kolwezi1977.be/KOLWEZI1977.html (L'INVASION DU KATANGA EN 1977)


La station a également fourni un travail remarquable dans les années 50 en assurant les liaisons télégraphiques et radios avec les expéditions belges dans la base Roi Baudouin dans l'Antarctique Sud.

L'arrivée des liaisons par satellites en 1972 mirent progressivement fin aux activités de Jurbise alors que Liedekerke fut transformé en station up links.

Comme évoqué dans le premier encadré ci-dessus, Gaston Remson a joué un rôle primordial dans l'histoire de notre radar. J'ai personnellement eu la chance de passer une soirée - presque toute une nuit - avec lui sur son lieu de travail. Avec toute la simplicité qui le caractérisait, il aimait partager sa passion pour le radiotélégraphie, interrompant brusquement ses explications pour écouter un message qui lui arrivait de l'autre bout du monde.

Rappelons que Gaston Remson a participé, en tant que radiotélégraphiste, à l'expédition belge en antarctique dans les années 1960.

Nous lui consacrerons bientôt une page spéciale.
Ce Jurbisien hors norme méritait bien d'avoir sa rue à Jurbise.

 

Remerciements

à Michel FREMY qui assura la direction technique de l'Office Européen de Radiodiffusion, et intervint en qualité de consultant en techniques de diffusion dans de nombreuses stations de radiodiffusion et centres d'écoute internationaux (Centre d'écoute TDF de Limours France et Centre d'écoute et de Mesures de l'U.E.R. à Jurbise Belgique), qui a eu la gentillesse de nous fournir de précieux renseignements et d'orienter nos recherches.

Bibliographie

Centre des Archives Nationales Contemporaines (CAC), fonds ORTF, versement numéro 1987 0714, article 27, Les Statuts de l'UER, 12 février 1950.

EUGSTER, Ernest, Television Programming across National Boundaries : the E.B.U and OIRT Experience, Washington, Artech, 1983, p. 29.

WALLENBORN, Léo, De l'UIR à l'UER : la grande crise de la radiodiffusion européenne, Revue de l'UER. Cahier B Informations générales et juridiques, numéros 1 et 2, janvier-mars 1978, p. 5.

ALVES, Patrick, L'Union Européenne de Radiodiffusion, 'Une approche internationale et communautaire de la télévision', 1950-1969.

Webographie

www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2007-2-page-19.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Union_européenne_de_radio-télévision  / UER dans wikipedia

http://www.ebu.ch/fr/about/index.php / le site de l' UER

 

Crédits photographiques :

Les photos présentées sur ce site (sauf le sigle de l'UER et les manchots) proviennent du website www.radiopassion.be que les passionnés ne manqueront pas de consulter et d'apprécier.

Emile Pequet

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