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Le Butte des Fusillés


Le 2 mars 1916, Masnuy Saint Jean, bien malgré lui, fut le théâtre d’un événement douloureux : sept hommes furent fusillés par les Allemands au pied d'une butte, en bordure de la Chaussée Brunehaut. Aujourd’hui encore, un monument commémore ce moment dramatique. Mais qui se souvient de ce qui s'était passé ?


1914-1918 : La «Grande Guerre»... Peu de temps après l’invasion allemande, des réseaux d’espionnage se mettent en place. Tant en France qu’en Belgique ou en Hollande, un travail sous-terrain de surveillance s’organise patiemment. La population comprend que la devise « L’Union fait la Force » n’est pas un vain mot ; aussi, Bruxellois, Flamands et Wallons collaborent-ils pour fournir des renseignements utiles à contrecarrer l’avancée des troupes d’occupation. Un de ces groupements - celui qui nous intéresse - est chargé de fournir des indications sur le mouvement et la composition des convois ferroviaires. Une observation minutieuse des déplacements des convois permettait non seulement de déterminer s’il s’agissait du passage d'un bataillon, d'un régiment, d'une batterie, d'un escadron, d'un chargement de munitions, etc., mais aussi de connaître sa destination. Le train était «pris en charge» dès son entrée en Belgique et suivi durant tout son trajet. On pouvait prévoir l'endroit vers lequel il se dirigeait et où se préparait une offensive. Les nôtres, prévenus, pouvaient dès lors prendre les mesures défensives nécessaires et masser des troupes pour répondre à l'attaque.
Pour réaliser un tel réseau de surveillance, il fallait bien entendu recruter de courageux volontaires pour les services de renseignements militaires un peu partout dans le pays. Les renseignements recueillis étaient communiqués à des responsables locaux qui se chargeaient de les transmettre à Louis Lampert, à Bruxelles, qui lui-même les faisait suivre vers Flessingue, en Hollande, à Victor Ernst. Un tel travail comporte évidemment de nombreux risques : délations, imprudences, accidents, etc. Les services de contre-espionnage allemands ne tardèrent pas à réagir :  le 27 octobre 1915, Désiré Vanden Bossche et Léonce Roels  furent arrêtés. Dans les semaines qui suivirent, pas moins d’une trentaine d’arrestations eurent lieu dans tout le pays : Ath, Braine-le-Comte, Boussu, Bruxelles, Casteau, Charleroi, Courtrai, Deynze, Denderleeuw, Enghien, Gand, Hal, Manage,  Nivelles, Saint-Ghislain, Sottegem et Tournai.
Fin février 1916, le procès que l'on a baptisé "Eisenbahn-espionnage" débuta à Mons devant un tribunal de Campagne siégeant dans la Salle des Concerts et Redoute du théâtre. Au banc de la défense, on trouvait des avocats venus de plusieurs villes du pays  : Maîtres Dorf, Braun et Kirschen de Bruxelles, Boddaert et de Saegher de Gand, Masson, Maistriau, André, Rolland, Winant et Harmignies, de Mons. Outre les missions de surveillance, des charges plus lourdes pesaient sur certains inculpés :s'être livré à des actes de sabotage ou avoir aidé des soldats français à franchir les lignes ennemies, raisons graves pour lesquelles le tribunal réclamait la peine de mort.
Parmi les accusés figurait une jeune fille, Hermine Vaneuken, dite Rosette, couturière à Bruxelles, mais dont le père était garde barrière à Masnuy Saint Jean. Bravant les Allemands, elle clamait  avoir été la cheville ouvrière de tout le système. Maître Braun plaida pour elle de façon émouvante : « Messieurs les officiers, dit-il, plusieurs d’entre vous, sûrement, ont des filles de l’âge d’Hermine ; elles en ont la fraîcheur, elles en ont les chansons. Un jour viendra où il vous sera donné de les revoir, de les embrasser, de vous retrouver avec elle dans la paix et la chaleur de votre foyer. Au coin du feu, sous la douce lumière de la lampe familiale, un soir, elles vous interrogeront et vous diront : « Père, raconte-nous donc les belles histoires du temps où tu faisais la guerre ! » Vous accéderez à leur désir, parce qu’il n’est point de père allemand, belge ou français, qui ne cède à semblable requête. Vous leur parlerez du procès de Mons, le plus important procès d’espionnage surgi à ce jour ; vous leur parlerez - vous ne pourrez pas ne pas parler - de le petite Hermine, du rôle qu’elle a joué... Et lorsque votre fille, mon Général, vous demandera anxieusement, ses yeux dans vos yeux : « Père, toi qui tenais le sort de cette jeune fille entre tes mains, qu’as-tu fait ? » dites-moi, qu’aimeriez-vous mieux lui répondre : « Je l’ai fait fusiller », ou : «  Je l’ai graciée ».

Le 29 février, le verdict tomba :

- Balthazar, Alfred, (dit Chapelle), électromécanicien à Hal : condamné à mort ;
- De Ridder, Théophile, tapissier à Bruxelles, né à Bruxelles le 22 mai 1884, 31 ans : condamné à mort ;
- Ghislain, Alfred, voyageur de commerce, natif d' Hornu : condamné à mort ;
- Jacmin, Jean, ingénieur civil, né à Hal le 18 mars 1884, 31 ans : consamné à mort ;
- Pollet, Arthur, charron à Manage, né à Antoing le 22 mai 1870, 45 ans : condamné à mort ;
- Roels, Léonce, notaire à Zottegem, né à Oudenaarde le 1er juillet 1869, 46 ans : condamné à mort ;
- Vanden Bossche, Désiré, employé des chemins de fer à Zottegem, né à Zottegem le 14 mars 1892, 23 ans : condamné à mort.


Quant à Hermine Vaneuken, condamnée à mort, sa peine fut commuée en 15 années de travaux forcés à la demande du tribunal lui-même..

Le 2 mars 1916, à 5 heures du matin, après leur avoir  laissé écrire une dernière lettre, les sept hommes furent conduits en camion de la prison de Mons jusqu'au pied d'une haute butte de terre qui servait à protéger la chaussée Brunehaut, à Masnuy Saint Jean, à l'extrêmité du champ de tir de Casteau. Sept piquets de bois avaient été préparés. Au moment où le peloton d'exécution les mettait en joue, l'un d'eux cria : "Courage, mes amis, nous serons vengés.Vive le Roi et Vive les Alliés".

Le 8 juillet 1928, à l'emplacement même où avait eu lieu l'exécution, au pied de la butte, une statue de bronze due au sculpteur Jules Jourdain, posée sur un piedestal de pierre, fut inaugurée par monsieur Viart, bourgmestre de Masnuy. La cérémonie eut lieu en présence du duc de Brabant, futur roi Léopold III, et de sa jeune épouse, Astrid.

Pendant la seconde guerre mondiale, pour éviter que la statue ne soit fondue par les Allemands, les autorités locales la mirent "en sécurité" et ce n'est qu'après la fin des hostilités qu'elle retrouva sa place.
Enfin, dernière péripétie, lors de l'installation du Shape dans notre région, dans les années soixante, le tracé de l'avenue d'Ottawa exigea la suppression de la butte de terre et le déplacement (de quelques mètres) du monument. Les piquets de bois sur lesquels on pouvait encore voir l'impact des balles disparurent, à l'exception d'un seul qui est (était ?) conservé au musée de la guerre à Mons. De plus, l'annexion d'une partie de Masnuy Saint Jean par la ville de Mons a ainsi fait glisser la Butte des Fusillés (où il n'y a plus de butte !) sur le territoire de Mons...
Peu à peu, les traces matérielles disparaissent, seules restent celles imprimées dans les mémoires des hommes. Mais pour combien de temps encore ?

Aujourd'hui, des "amateurs de métaux" ont dérobé la statue de bronze. Il ne reste plus que le socle... mais qui s'en préoccupe ?

Emile Pequet

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