Des Destrée, des Arts et des Lettres.
Extrait de Une idée qui meurt : la Patrie, Bruxelles, Veuve Larcier, 1906 |
Le château dont il est question ici, c'est le château de la Source situé au 29, Voie des Curés à Erbisoeul. Il était, à l'époque, la propriété d'Arthur Joseph Franeau (1830-1906) qui avait épousé une des soeurs de la mère de Jules Destrée : Henriette Louise Defontaine (1830-1910). Quant aux cousines, ce sont Jeanne, Amélie, Claire et Marie-Thérèse. Cette dernière, que Jules appelle simplement Marie, était née la même année que lui et était sa préfèrée. C'est encore elle que, quelques années plus tard, après son mariage avec Eugène Lagrange, il qualifiera de "pimbêche". |
C'est le 21 août 1863 que
naquit, à Marcinelle, Jules Destrée. Son père,
Léopold Olivier Joseph, a vingt-neuf ans et s'est
marié au mois de mai de l'année
précédente avec Clémentine Jeanne
Defontaine qui a deux ans de moins que lui. Léopold exerçait la profession
d'ingénieur chimiste aux usines de Couillet et de Marcinelle avant
d'opter pour une carrière d'enseignant au
Collège et à l'école
industielle de Charleroi où il a rencontré sa
future épouse. Quatre ans plus tard, le 10 août
1867, ils ont un deuxième fils : Georges. La petite
enfance de Jules et de Georges est sans problèmes. Elle
s'écoule entre la maison paternelle de Marcinelle,
située rue de Hauchies, et la région de Mons
où vivent ses grands parents maternels : son grand
père, Auguste Jean Joseph Defontaine (Mons, 1806 - Mons,
1872), est un ancien médecin militaire.
Décoré de la Croix de Fer pour son
dévouement pendant les
événements de 1830, il était ensuite parti pour
Bruxelles avec les volontaires montois dès que la ville de
Mons fut libérée de la tutelle hollandaise. Il
y avait organisé " l'ambulance de la
Rue Royale". Il avait poursuivi son action à Lierre et à Berchem, puis au siège d'Anvers en 1831. Le
18 juillet 1828, il avait épousé Evrardine
Robert[ine] Joseph[e] Lepas, de quatre ans son
aînée, originaire du pays de Liège. Il
s'était installé à Mons, sa ville
natale, ne s'éloignant jamais beaucoup des alentours de la
collégiale Sainte Waudru où il avait grandi. A
l'exception d'Hippolyte Alfred (1828-1890), avocat, qui
était allé habiter Charleroi, tous
leurs autres enfants restèrent dans la
région montoise. Jules ne connut son grand père
que pendant six ans, et Georges deux ans. Par contre, ils
eurent tout loisir d'être choyés par leur grand mère
Evrardine qui mourut à Mons le 13 septembre 1880,
à l'âge de septante huit ans.
Malheureusement, leur mère décéda
jeune : elle n'avait que quarante ans quand elle mourut. Jules venait
d'avoir treize ans et Georges neuf. Jules, qui commençait
alors ses études secondaires au Collège de
Charleroi où enseignait son père demeura
avec lui tandis que Georges, trop jeune encore, avait besoin d'une
présence féminine. Ce fut sa tante Mathilde, la
soeur de sa mère, qui se chargea de son éducation
et le jeune enfant vint vivre avec elle à Mons
pendant trois ans. Mais lorsqu'il fut en âge
d'entreprendre ses études secondaires, son
père, voulut qu'il suive le même chemin que son
aîné et le rappela à Marcinelle. Mathilde
suivit et, le 2 juillet 1882, épousa son
beau-frère. Mais un nouveau drame allait frapper les deux
enfants : trois ans plus tard, Mathilde meurt à son tour.
Elle avait à peine cinquante ans.
Georges, qui n'a
alors que quinze ans, termine assez péniblement
ses humanités. Les sciences, et les mathématiques
en particulier, ne l'intéressent pas et seuls comptent pour
lui la poésie, les romans de Balzac ou encore les contes de
Grimm ou d'Andersen. De plus,
peut-être à cause des
décès successifs mal vécus de sa
mère, de sa grand mère et de sa tante, il a abandonné
toute pratique religieuse. Jules, quant à lui, a
dix-neuf ans. Au contraire de son frère, il a toujours
été un élève brillant et
est inscrit à la
faculté de Droit de l'Université
libre de Bruxelles. Il rêve de faire une carrière
littéraire et déjà, il est
chroniqueur au Journal
de Charleroi dans lequel il écrit
régulièrement des articles sur les
œuvres de ses contemporains. Il
se passionne pour les naturalistes - pour Zola en particulier, qui lui
paraît
le grand homme du moment et à qui il rendra d'ailleurs
visite, ainsi qu'à Huysmans - et on peut lire dans son
journal en date de novembre 1882 :
«L'école naturaliste compte un partisan de
plus».
Dès cette époque, Jules Destrée
fréquente assidûment les milieux littéraires bruxellois et,
bientôt, rejoint les rangs d'un groupe qui sera
connu sous le nom de
Jeune Belgique et qui a créé une
revue du même nom dont le premier numéro est sorti
le 1er décembre 1881
Il y cotoye d'autres jeunes juristes qui se sont
engagés autour des deux créateurs du groupe : Albert
Bauwens,
alias Albert Grésil, et Léopold
Warlomont, jeune poète mieux connu sous le
pseudonyme
Max Waller.
Ces jeunes écrivains contestent le
conservatisme de leur milieu et, signe du temps, sont portés par un
élan de sympathie pour la cause ouvrière. Aux
côtés
de Grésil et de Waller, pour le premier
numéro de la revue, sont réunis les
poètes Georges
Eekhoud, Georges Rodenbach,
Francis
Melvil, ainsi que
Albert Orth, Francis
Marcel et Charles
Mettange en tant que chroniqueurs, les
deux derniers étant membres du
comité de rédaction de la revue, la direction
revenant à Albert Bauwens. On trouvera au
sommaire des numéros suivants des noms parfois devenus
prestigieux, d'autres aujourd'hui oubliés :
Valère
Gille, Albert Giraud, Iwan Gilkin, Arnold Goffin, Camille
Lemonnier, Fernand Séverin, etc. et, pendant quelques temps,
Maurice
Maeterlinck
et Émile Verhaeren. Mais
ces deux derniers, ainsi que Georges Rodenbach, quitteront le groupe
quand La Jeune Belgique
décidera d'opter pour "L'Art pour l'Art" et rejoindront
alors la revue L'Art
Moderne, également créée
en 1881 par le célèbre avocat et homme de Lettres Edmond Picard
qui, lui, défend l'idée d'un "Art social".
Jules
Destrée, qui a rejoint le groupe bien avant la
nouvelle
orientation, même s'il ne partage pas entièrement
ce choix et malgré le fait qu'il est stagiaire chez Picard
depuis 1883,
restera fidèle à Max Waller. Dès le 15
mai 1882, son nom apparaissait dans les colonnes du
périodique et on lui doit des textes de tout
genre : œuvres d'inspiration, de critique
littéraire ou artistique.
En août 1884, il rêve d'un
succès parisien : «Je suis absolument
décidé à filer à Paris
(tant pis
si j'y crève!)» et le 5 novembre de la
même année, il s'écrie :
«Tout
pour la littérature et pour l'art!»
En 1887, Georges rejoint son frère à la
faculté de Droit. Il ajoute alors Olivier (le second
prénom de son père) devant le sien et devient
Olivier-Georges Destrée. Mais il ne montre pas la
même assuidité à suivre les cours de la faculté que son frère; on dirait
aujourd'hui qu'il y va "en touriste" : il
fréquente moins les cours que la bibliothèque.
Très vite, Jules introduit son frère dans le
groupe des Jeune-Belgique, mais, là aussi, il n'est
guère très "productif". En raison de son allure
de dandy, il s'attire le surnom de « prince lointain », et on le compare volontiers à cet adolescent florentin qui, sur les toiles de
Botticelli, dans sa douceur hautaine, songe inconsciemment à
des candeurs passées. Pourtant, il attire immanquablement la
sympathie de tous par sa jeunesse et sa jovialité. Quelque
trente ans plus tard, Arnold Goffin dans son éloge
funèbre rappellera :
Le plus jeune des Jeune-Belgique était, à cette
époque, Olivier-Georges Destrée... Il avait
été introduit dans le groupe enthousiaste et
chevelu, au début de ses études à
l'Université de Bruxelles, par son grand frère
Jules, et il en était devenu aussitôt l'enfant
gâté. Il ne tarda guère, on
le pense bien, à écrire, lui aussi, à
se hasarder dans le poème en prose ou dans la chronique artistique. On
ne saurait dire, d'ailleurs, que sa collaboration
à la revue fut jamais très active : de son
naturel, il était plutôt une créature
de luxe et de loisir, plus encline à jouir de la vie,
qu'à la vivre énergiquement ou qu'à
s'astreindre aux dures et persévérantes
disciplines du labeur littéraire. Sa réelle
vocation était celle du dilettante, flâneur
raffiné de la beauté, qui va à elle
partout où elle s'offre, satisfait sans plus de la joie
qu'il a reçue d'elle.
L'aimable garçon ! Grand, vigoureux, d'une irréprochable élégance, avec un soupçon de dandysme, il produisait un peu l'effet, dans notre société aux allures fantaisistes ou débraillées, d'un mondain égaré parmi des bohèmes ! Il était d'humeur ouverte et joyeuse, toute de prime saut, étrangère à tout pessimisme, et elle ne s'assombrissait, parfois, que lorsque, sur le tard, après des déambulations nocturnes trop prolongées, la conversation s'orientait vers les discussions religieuses ou philosophiques... Car les " grands mots ", les théories et les sciences abstraites, lui inspiraient à la fois du dédain et le plus profond éloignement. Et, en somme, rien alors ne lui paraissait digne d'attention et de respect, dans ce monde, que l'art et les artistes. Nous ne saurions dire s'il acheva ses études universitaires et fut nanti du diplôme d'avocat. Personne moins que lui, certainement, n'était prédestiné à la carrière contentieuse du barreau. Il n'y essaya même pas, si nous nous souvenons bien, et elle se serait malaisément conciliée, au demeurant, avec ses goûts cosmopolites. On avait, en effet, une chance de le rencontrer, de loin en loin, chez la bonne vieille demoiselle Evrard, dont il était le pensionnaire choyé et quelque peu despote, mais, le plus souvent, il était à Londres, à Paris ou à Florence, partout également chez lui, partout entretenant des amitiés précieuses et chères. |
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