La Chaussée Brunehault
Comme son nom ne lindique pas, la Chaussée Brunehault est une antique chaussée romaine qui reliait Bavay (Bagacum) à Utrecht, via Enghien, Asse et Anvers. Elle coupe le territoire des Masnuy du sud-sud-ouest au nord-nord-est suivant un tracé remarquablement rectiligne, à lexception de la montée du Roc, à la sortie de Nimy, où elle zigzague afin de réduire la pente. A une certaine époque, elle a dailleurs été appelée Grand Chemin dEnghien, et aujourd'hui encore, les autochtones l'appellent encore Grand Chemin.
Pourquoi appelle-t-on ce chemin Chaussée Brunehault ?
Une légende raconte qu'il y a bien longtemps, une reine nommée Brunehault avait été condamnée à mort. Pour son supplice, elle avait été attachée à la queue dun cheval sauvage et lanimal, rendu furieux, était parti au galop, traînant derrière lui la malheureuse. Les chemins par lesquels la suppliciée passa portèrent dès lors son nom. Si l'on met bout à bout tous les chemins qui portent le nom de Brunehault, on ne peut que frémir à l'idée du calvaire de la malheureuse...
Mais
quelle est la vérité qui se cache derrière
cette légende ?
Brunehault
(ou plus exactement Brünhild) est née en
Espagne en lan de grâce 534. Elle était
la fille dAthanagilde, roi des Wisigoths. En 566,
elle épouse Sigebert Ier, devenu roi dAustrasie
trois ans plus tôt, à la mort de son père
Clotaire.
LAustrasie, immense territoire qui sétend
de la rive gauche du Rhin jusquau littoral de
la mer du Nord, a été créée
en 511, à la mort de Clovis, pour être
donnée à son fils aîné Thierry
; le fils de ce dernier, Théodebert, lui succède
en 534, puis ce royaume revient à Théodebald,
petit-fils de Thierry, en 547. Mais quand Théodebald
meurt en 555, Clotaire, quatrième et dernier
fils en vie de Clovis, réunifie Austrasie et
Neustrie. Et à sa mort, en 561, son fils Chilpéric
devient alors roi de Neustrie et, comme nous lavons
dit, Sigebert, frère de Chilpéric, reçoit
lAustrasie.
Le roi Sigebert Ier et la reine
Brunehaut firent de Metz, devenue leur capitale, le
centre dune civilisation brillante et leur union
semble avoir été sereine. Il nen
fut pas de même pour Chilpéric installé
à Paris.
En premières noces Chilpéric épouse
Audovère qui lui donne trois fils : Théodebert,
Mérovée et Clovis. Mais Chilpéric
tombe sous lemprise de Frédégonde,
une servante d'Audovère. Sous linfluence
de Frédégonde, Chilpéric répudie
son épouse en 566 et la fait enfermer dans un
couvent. Frédégonde espére alors
devenir reine, mais Chilpéric préfère
un mariage avec une princesse de sang royal : son
choix se porte sur Galswinthe, la sur de Brunehault.
Frédégonde, furieuse, fait étrangler
la jeune reine pendant son sommeil peu de temps après
le mariage, en 567. Plus que jamais sous lemprise
de sa concubine, Chilpéric finit par lépouser.
Mais depuis la mort de Galswinthe,
Brunehault exige de son royal mari quil la venge.
Les pourparlers entre Chilpéric et Sigebert senlisent
et le conflit devient inévitable ; finalement,
Sigebert sempare de Paris et se fait proclamer
roi de Neustrie, mais il est bientôt assassiné
par deux émissaires de Frédégonde,
en 575. Brunehault est exilée à Rouen ;
elle confie la sécurité de son fils Childebert
qui na alors que cinq ans, à son beau-frère
Gontran. Pendant son exil à Metz, Brunehault
séduit Mérovée, deuxième
fils de Chilpéric et d'Audovère et lépouse.
Chilpéric, furieux, fait enfermer Mérovée
qui, pour échapper au courroux de son père
préfère se faire tuer. Quant à
Brunehault, elle est renvoyée à Metz où
elle assure la régence du royaume.
Entre temps, Frédégonde a donné
naissance à un fils : Clotaire. Dès
lors, elle ne pense plus quà assurer sa
succession à la tête de la Neustrie en
éliminant physiquement Audovère et ses
fils. Quand Chilpéric meurt assassiné
à Chelles en 585, les deux femmes peuvent alors
donner libre cours à leurs haines réciproques.
La guerre dure de nombreuses années et finalement
Brunehaut est vaincue à Latofao (Laffaux, Aisnes,
canton de Vailly), mais Frédégonde ne
savoure pas longtemps sa victoire car elle périt
peu de temps après.
En
Austrasie, lautorité de Brunehaut fut minée
par un parti de seigneurs austrasiens dévoués
au fils de Chilpéric et de Frédégonde,
Clotaire, devenu roi de Neustrie. Les chefs de ce parti,
Pépin de Landen et lévêque
Arnould de Metz, appellent Clotaire en Austrasie et
lui livrent. Brunehaut. Condamnée à mort
à Renève (à lest de Dijon) en
613. Cette vieille dame de près de quatre-vingts
ans fut attachée à la croupe dun
cheval fougueux qui la mit en pièces.
Voilà donc lorigine de la légende.
Dautre part, Brunehault, durant son règne, avait fait remettre en état quelques routes anciennes, de là leur appellation. Mais lexagération populaire a bien vite multiplié ses réalisations en les étendant à dautres routes, dont les chaussées romaines.
Certain auteurs soutiennent lhypothèse que les romains nont fait quaméliorer un réseau routier préexistant. Cette hypothèse n'est pas nouvelle comme nous allons le voir.
On cite parfois le nom de Bruneholde, Roi des Nerviens, comme ayant fait réaliser les sept routes issues de Bavay. Ils sappuient pour ce faire sur les chroniques de Jacques de Guyse. Signalons pourtant quen 1837, dans un Mémoire sur les documents du Moyen Âge, relatifs à la Belgique, avant et pendant la domination romaine, publié dans les Mémoires couronnés de lacadémie des sciences et belles-lettres de Bruxelles, tome XII, Bruxelles 1837, A.G.B. Schayes avait déjà démontré que Jacques De Guyse avait puisé ses informations dans un ouvrage fantaisiste de Lucius de Tongres qui avait transformé le nom de Brunehault en Bruneholde pour créer son chef nervien. Voici un extrait du chapitre XXXVIII :
"Bruneholde, après avoir ordonné la promulgation de ses nouvelles lois dans toutes les parties de son royaume, les fait graver sur les portes des villes, des forteresses et des villages, afin quaucun homme ni aucune femme ne put sexcuser en prétextant cause dignorance. II fait ensuite paver les sept grandes routes commencées par Bavo lancien. Toutes ces routes avaient cent pieds de large et quatre dentre elles, dit Ic chroniqueur, étaient recouvertes de briques cuites, ornées de colonnes de marbre et bordées dallées de chênes; cétaient la route de Jupiter, celle de Mars, celle du Soleil et celle de Vénus. Les trois autres, cest-à-dire, les routes de Saturne, de Mercure et de la Lune, étaient pavées de pierres recouvertes en marbre et revêtues décailles et de pierre noires. Le soin dentretenir ces routes fut confié aux chasseurs. Au centre de la vile, Bruneholde fit placer une pierre heptagonale, doù lon pouvait voir les sept portes ou les sept temples de la ville. Sur chacune des faces dc cette pierre, il fit sculpter limage de lidole quelle regardait, et ordonna que lon érigeât sur lheptagone une statue de metal, haute de soixante coudées tenant une massue à deux mains et prête à frapper. Cette statue, quon pretend être celle de Bel, subsista jusquau temps de Jules César, qui la détruisit et fit de Ia chaux avec la pierre milliaire.
Les sept grandes routes qui aboutissaient à Bavai, comme à un centre commun pour la Belgique et qui furent construites par Agrippa, gendre dAuguste, vers lan 24 avant lère vulgaire, ont servi de motif à toutes les fables que J. De Guyse débite dans ce chapitre daprès Lucius de Tongres. La pierre heptagonale nétait autre chose quune pierre milliaire, sur laquelle étaient marquées les distances de toutes les villes et stations de poste, auxquelles conduisaient ces routes. De la reine Brunehaut, à qui plusieurs chroniqueurs du Moyen Âge ont attribué la construction des voies romaines de Bavai, parce quelle les avait peut-étre fait réparer, Lucius de Tongres a fait un grand-prêtre belge en changeant le nom do Brunehaut en celui de Bruneholde."
Une nouvelle légende était née. Et les légendes ont la vie dure, comme chacun sait...
Le point de vue des historiens Jusqu'au XIXème siècle, les historiens ont attribué, de manière indubitable, la construction du réseau routier en Gaule aux Romains. Pourtant, peu à peu, le doute s'installa.
En effet, comment expliquer la rapidité avec laquelle les légions
romaines ont envahi la Gaule s'il n'existait pas déjà des voies
de communication dans ces régions ? De plus, dans le De Bello gallico,
Jules César ne souligne aucune difficulté de déplacement
et ne parle pas de l'obligation de tracer des routes ou de construire des ouvrages
d'art pour franchir les cours d'eau, à l'exception du pont sur le Rhin
qu'il mit dix jours à réaliser (de quoi faire rêver !). On
sait aussi que le commerce marchait bon train entre les différentes parties
de la Gaule. Comment aurait-il pu se faire sans voies de communication ? Malheureusement,
les historiens ne disposent pas d'éléments probant et sont par conséquent
réduits à faire des suppositions. |
(1)Marcus Vipsanius Agrippa (~63 - ~12)
Né vers ~ 63, le hasard lui fit rencontrer Octave (connu plus tard sous le nom d'Auguste) en ~ 44 à Apollonia d'Illyrie. Il l'accompagna à Rome après l'assassinat de César (~ 44), à Philippes contre les meurtriers du même César (~ 42), à Brindes pour conforter le triumvirat (~ 40) et à Actium contre Marc Antoine et Cléopâtre (~ 31). Il parcourut tout l'Empire, et notamment en Gaule où il mit en application la politique d'Auguste.
(2)César Auguste.
Né le 23 septembre 63 av. J.-C. à Rome, son nom originel est Caius Octavius Thurinus, plus couramment connu, dans la première partie de sa vie, sous le nom d'Octave.
Fils de Gaius Octavius et d'Atia Balba Caesonia, il épouse Clodia Pulchra (?-40 av. J.-C.), puis Scribonia (40 - 38 av. J.-C.) qui lui donnera une fille (Julia l'Aînée) et en troisièmes noces Livia Drusilla (38 av. J.-C. - 14)
Il règne du 16 janvier 27 av. J.-C. jusqu'à sa mort, le 19 août 14 (à 76 ans) à Nola en Italie.
Vestiges de l'époque romaine en bordure de la chaussée Brunehault
Nous reproduisons ci-dessous une lettre faisant mention d'antiquités retrouvées à proximité de la chaussée Brunehault. Elle nous apprend qu'à la fin du XIXème siècle plusieurs objets ont été retrouvés, témoignages de l'occupation romaine.
Signalons encore que récemment, une équipe d'archéologues de la Région wallonne a effectué des fouilles en bordure de cette chaussée. Les fouilles se sont terminées au début du mois de septembre 2010. Le lecteur intéressé trouvera plus d'informations dans notre article intitulé Un établissement routier...
Lettre adressée par D.-A. Van Basteleer à Léopold Devillers, président du Cercle archéologique de Mons, datée du 6 février 1887 à Bruxelles, et reproduite dans les Annales du Cercle archéologique de Mons, tome XX, pp. 646-648.
Mon cher Président,
Dans mon ouvrage sur le cimetière antique de Strée, j'ai décrit deux patères en bronze fort belles, et j'en ai même donné les figures, pour servir de comparaison avec un objet semblable trouvé dans une tombe du cimetière. Voici les quelques lignes de description que je consacrais à ces vases.
"Le premier est haut de 40 mm, large de 105, y compris le rebord. Il est fort épais. Il est coulé et tourné, à rebord presque plat, horizontal. Le second est de forme semblable, sauf que le rebord plat est supprimé. Il est, comme le premier, étamé à l'intérieur et mesure 45 mm de haut, mais le diamètre est de 100 mm seulement. La forme générale est hémisphérique, de coupe fort élégante."
Bon nombre de vases antiques, venant de Bavay, reposent actuellement au musée de Douai. Ce sont les seuls que j'ai eu l'occasion de voir de cette forme.
Mes patères ont été trouvées à Masnuy Saint Jean. Désireux de recueillir quelques renseignements sur cette trouvaille archéologique, je suis allé moi-même dans le village. J'y a recueilli quelques renseignements sur des trouvailles archéologiques faites dans trois communes qui sont de l'arrondissement de Mons. [...]
Je commence par les vases dont je viens de parler. Ces soucoupes, avec trois autres semblables, furent trouvées en 1871, par Jules Debrissy, fermier, dans une terre nommée Planty, située le long d la Chaussée Brunot
(sic) , à cinq kilomètres de Mons et appartenant à M. le baron Sirault. Il s'agissait évidemment d'une tombe romaine peu profonde (seulement 50 cm), dans un sol sablonneux, fort sec. Cette dernière circonstance est cause que le métal s'est admirablement conservé, ce qui est exceptionnellement rare. Ce sont les bronzes romains les moins corrodés que je connaisse. Voilà probablement un cimetière à fouiller, sur lequel j'appelle l'attention du Cercle.Il est une autre trouvaille faite dans la même commune. De l'autre côté de la même chaussée Brunot, à peine à 100 m plus loin, Florentine Pilette a trouvé dans sa prairie, sur une taupinière, une pièce d'or romaine qu'elle vendit 15 francs chez un orfèvre de Mons.
A un kilomètre de la campagne du Planty, un ouvrier nommé Joachim Leroy a trouvé dans un champ, à 300 m du moulin à vent du Niesgrade, sur le territoire de Masnuy Saint Perre, un pot portant son couvercle et contenant des ossements brûlés avec quelques pièces d'or dont une fut remise au garde chasse de M. Magne, bourgmetre de Masnuy Saint Pierre. Il s'agit sans doute encore ici d'un cimetère belgo-romain. [...]
Notes :
1.- L'article dont parle Van Basteleer au début de sa lettre est "Le cimetière belgo-romano-franc de Strée rapport sur la fouille, description des objets trouvés et étude de diverses questions d'archéologie que cette fouille a soulevées". Mons, chez H. Manceaux, 1887, p.165.
2.- La patère est une coupe à boire évasée et peu profonde.
3.- Nous ignorons où les patères trouvées à Masnuy Saint Jean ont été déposées.
(les renseignements suivants ont été recueillis auprès d'anciens du village de Masnuy Saint Jean et à l'Administration communale de cette commune avant la fusion)
4.- Joachim Leroy, plus connu sous le nom de Joissin, était le grand-père du garagiste Leroy qui habitait encore vers 1990 le long de la chaussée Brunehault,au sommet de la côte allant vers Masnuy Saint Pierre.
5. Florentine Pilette habitait au croisement de la chaussée Brunehault et du chemin de Saint Denis à l'angle nord-ouest.
6. Jules Debrissy habitait une ancienne maison dite "du prussien", ensuite occupée par Gusta Lévêque. Nous n'avons pas pu la situer exactement jusqu'à présent. Tout renseignement complémentaire que vous pourriez nous fournir serait évidemment le bienvenu.
Emile Pequet
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